Bienvenue sur ce nouvel épisode de notre podcast « Dans l’oreillette », un format exclusivement dédié à la Gestion Privée et Gestion de Fortune. Aujourd’hui on se retrouve pour un épisode un peu particulier puisque nous accueillons Joséphine Tillaye-Duverdier, Avocat Associée chez Familynks, accompagnée de Benoît Métayer, Consultant Senior chez Cyrus et Responsable des Partenariats Paris.
En droit de la famille, la fiscalité est bien souvent au cœur des discussions. Et notamment à toutes les étapes de la séparation et du divorce. Ne pas maîtriser ces règles peut avoir un impact majeur dans les finances des personnes concernées. Il est donc nécessaire de les maîtriser afin d’anticiper et de se servir de ces règles pour favoriser des solutions amiables. Le sujet de la fiscalité pour les couples qui se sont séparés ou qui ont divorcé en 2023 est d’autant plus intéressant qu’il est d’actualité avec les déclarations de revenus.
Animateur : Doit-on faire une déclaration commune ou des déclarations séparées ?
Benoît Métayer : Il sera ici très important de distinguer selon que nous avons affaire à un couple non marié ou à un couple marié. Parmi les couples non mariés, on retrouve évidemment traditionnellement les concubins. Alors pour eux, pas véritablement d’incertitudes, c’est clairement une déclaration séparée en tout état de cause. Ensuite, les partenaires de Pacs. Pour eux, on distinguera deux situations importantes selon que la rupture sera intervenue en 2023, auquel cas c’est bien une déclaration séparée qui va prévaloir. Et la rupture de Pacs, mais simplement avec une séparation de faits, donnera lieu à deux situations. Si le couple a opté pour le régime de séparation de biens, c’est une déclaration séparée. Sinon, c’est une déclaration commune, sauf dans le cas où il y a eu abandon de domicile. Pour les couples mariés, on pourra tout d’abord évoquer une première hypothèse, c’est celle où le couple s’est séparé en 2023 mais durant lequel il n’y a pas eu de décision judiciaire ou de mesure provisoire, ni de divorce qui sera intervenu. C’est alors vers le régime matrimonial des époux vers lequel nous devons nous tourner.
Si c’est un régime de séparation de biens ou encore de participation aux acquêts, ce sera une déclaration séparée pour l’année entière. En cas de communauté réduite aux acquêts, c’est un maintien de déclaration commune, sauf à nouveau s’il y a eu abandon de domicile conjugal.
Et que se passe-t-il pour l’époux séparé de biens qui a continué de contribuer aux charges du mariage pendant toute l’année 2023 et qui va se retrouver privé de la part de son conjoint, voire des parts des enfants si ceux-ci vivent avec l’autre parent, du fait de l’imposition séparée ? Peut-il déduire sa contribution aux charges du mariage en l’absence de décision de justice ?
Joséphine Tillaye-Duverdier : Oui tout à fait, l’absence de décision de justice ne fait pas obstacle à la déduction, si bien que l’époux débiteur d’une contribution aux charges du mariage va pouvoir la déduire de son revenu imposable, tandis que l’époux créancier va devoir la déclarer et être imposé dessus. J’attire votre attention sur le fait que cette faculté de déduction est assez récente, puisque jusqu’à une décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020, l’absence de décision de justice faisait obstacle à toute déduction, ce qui était particulièrement préjudiciable pour l’époux débiteur qui s’exécutait spontanément. Et le Conseil constitutionnel est donc venu corriger cette inégalité de traitement entre l’époux débiteur qui pouvait déduire avec une décision de justice, et l’époux débiteur qui ne pouvait pas déduire en l’absence de décision de justice.
Benoît Métayer : En complément, on pourra également désormais émettre cette seconde hypothèse concernant les couples mariés. C’est celle où la décision de justice de mesure provisoire, ou que le divorce en l’occurrence, est intervenue courant 2023. Alors à ce moment-là, il n’y a plus d’incertitudes quant à ce traitement. C’est bien la déclaration séparée qui prévaut pour l’année entière.
Dans cette seconde hypothèse, à quoi doit-on penser dans la déclaration de revenus ?
Joséphine Tillaye-Duverdier : Il va falloir penser évidemment à beaucoup de choses. On va d’abord se concentrer sur les époux et puis on verra dans un second temps la question des enfants. Concernant d’abord les époux, une décision de mesure provisoire a été rendue en 2023, et supposons que cette décision a fixé un devoir de secours au profit de l’un des époux. Ce devoir de secours peut prendre en principe la forme d’une pension alimentaire. Cette pension alimentaire va être déductible pour l’époux débiteur et imposable pour l’époux créancier. Mais il faut savoir aussi que ce devoir de secours peut prendre la forme d’une jouissance gratuite du domicile conjugal. Et cette jouissance gratuite, cet avantage qui est accordé à l’un des époux, est déductible pour l’époux qui le concède et imposable pour l’époux qui en bénéficie. Il faut impérativement avoir ce point en tête, et pour calculer cet avantage on va se référer à la valeur locative du bien à laquelle on va en principe appliquer un abattement dit de précarité qui est compris entre 15 et 20%. C’était donc la première hypothèse, l’hypothèse où une décision de mesure provisoire est intervenue en 2023.
Seconde hypothèse, un divorce est intervenu en 2023, soit un divorce prononcé par décision de justice, soit un divorce prononcé par consentement mutuel. Et dans le cadre de ce divorce, une prestation compensatoire a été fixée. Et là, il va y avoir également un impact par rapport aux déclarations de revenus que ces couples divorcés vont remplir actuellement. Alors, pour savoir quels sont les impacts, il va falloir se référer aux modalités de la prestation compensatoire. Premier cas, la prestation compensatoire est versée en numéraire, en capital, dans les 12 mois du divorce. Dans ce premier cas, elle est non-imposable pour le créancier qui n’a donc absolument pas à la déclarer dans sa déclaration de revenus. Et le débiteur, lui, va bénéficier d’une réduction d’impôt qui est égale à 25% d’un plafond de 30 500 euros, soit une réduction d’impôt maximum de 7 625 euros. J’attire votre attention sur le fait que si le débiteur n’a pas respecté le délai de 12 mois, cela restera heureusement indolore pour le créancier qui n’y est pour rien et le débiteur va perdre le bénéfice de la réduction d’impôt. Autre cas, la prestation compensatoire est versée en numéraire, mais sur un délai supérieur à 12 mois à compter du divorce, on va la traiter à ce moment-là comme les pensions alimentaires, elle sera déductible des revenus imposables du débiteur et elle sera en revanche imposable pour le créancier.
La prestation compensatoire peut également être mixte, pour partie en capital, pour partie sous forme de rente. Et c’est assez intéressant car il y a eu une décision du Conseil constitutionnel, relativement récente, là aussi du 31 janvier 2020, qui est venue préciser que désormais l’époux débiteur d’une prestation compensatoire mixte pouvait bénéficier du double avantage fiscal. la réduction sur le capital, la déduction sur la rente, ce qui n’était pas le cas auparavant, puisqu’avant cette décision du Conseil constitutionnel, l’administration fiscale considérait en réalité que cette prestation compensatoire mixte était un tout, que le débiteur bénéficiait déjà de la déduction et qu’il n’avait pas à bénéficier de la réduction. Et j’ajouterais simplement un mot, parce que je trouve ça relativement intéressant, la prestation compensatoire, elle peut parfois, dans des cas plus rares, être en nature. Et c’est intéressant lorsqu’elle est, par exemple, sous la forme d’un droit d’usage et d’habitation sur un bien immobilier pendant X années. On voit que dans ce cas, la prestation compensatoire va s’échelonner dans le temps bien au-delà du délai de 12 mois à compter du divorce. Et pour autant, il faut savoir que cette prestation compensatoire sera traitée fiscalement comme un capital non imposable pour le créancier, réduction d’impôt pour le débiteur.
Comment déterminer le rattachement fiscal des enfants ? Est-il nécessaire de se poser la question de leur mode de résidence ?
Benoît Métayer : Il va être particulièrement important de distinguer selon qu’il y a une situation de résidence alternée ou non. Alors le principe de droit commun en face d’une résidence alternée, ce sera qu’effectivement les enfants sont rattachés par moitié aux foyers fiscaux de leurs parents. conséquence logique de cette organisation, c’est que le parent débiteur d’une pension alimentaire ne pourra pas la déduire et que cette pension ne sera fiscalement neutre pour le parent créancier. C’est un principe classique, puisqu’on ne peut cumuler les avantages fiscaux. Lorsque la situation est celle de la résidence principale d’un seul des deux parents, les enfants seront rattachés fiscalement au parent chez lequel ils vivent à titre principal, auquel cas le parent qui bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement peut naturellement déduire les frais engagés, le corollaire étant que l’autre parent sera amené à les rétablir dans le cadre de sa déclaration.
Et jusqu’où peut-on aller dans cette déduction ?
Joséphine Tillaye-Duverdier : C’est une bonne question puisque le parent débiteur va pouvoir déduire non seulement la pension alimentaire, mais il faut avoir en tête qu’il peut également déduire les frais qu’il prend directement en charge pour les enfants comme par exemple les frais de scolarité ou les frais d’activités extra-scolaires qu’il va payer directement entre les mains des écoles, des établissements, et c’est le conseil d’Etat qui est venu nous rappeler cela le 5 juillet 2021, c’est un point que nous devons impérativement avoir en tête pour éviter de mauvaises surprises et en l’ayant en tête cela nous permet aussi parfois d’adapter les situations en fonction des profils de chacun des parents, je vous donne un exemple : les enfants sont en résidence principale chez la mère, ils lui sont donc par principe rattachés, cette mère n’a pas de revenus et le père, lui de son côté, il va être convenu qu’il assume l’intégralité des frais des enfants. Et bien logiquement par rapport à ce que nous venons de voir avec Benoît, le père va pouvoir déduire l’intégralité des frais assumés pour les enfants de telle sorte que la mère va devoir déclarer cette même somme et payer un impôt, notamment sur des sommes qu’elle n’aura pas perçu directement puisque ces sommes auront été versées aux écoles, aux centres d’activités, et autres. Et bien dans une hypothèse comme celle-là, et c’est tout l’intérêt de pouvoir discuter dans le cadre des divorces. Dans une situation comme celle-là on pourrait imaginer que puisque le père assume l’intégralité des frais des enfants, les enfants lui soient rattachés, il ne déduira pas, bien évidemment, les pensions puisque Benoît rappelait on ne peut pas cumuler les avantages fiscaux. La mère ne sera donc pas pénalisée parce qu’elle n’aura pas un impôt à payer sur des sommes qu’elle n’aura pas perçu.
Alors j’ajoute un petit conseil précieux, c’est de ne pas oublier de cocher la case « parent isolé », lorsque l’enfant est rattaché au foyer fiscal de l’un des parents. Ce parent, sous réserve qu’il vive seul, peut cocher la case « parent isolé », qui lui permet de bénéficier d’une majoration de part : 0,5 part supplémentaire pour un enfant, une part supplémentaire pour 2 enfants et plus, et il faut savoir c’est important, qu’en cas de résidence alternée, lorsque les enfants sont rattachés par moitié aux foyers fiscaux des deux parents, les deux parents ont le droit de cocher cette case « parent isolé », sous réserve bien entendu pour chacun des parents de vivre seul, chacun bénéficiera d’un complément de part, alors qui sera moindre bien évidemment : 0,25% pour le premier enfant et 0,5% pour 2 enfants et plus.
Nous terminons là avec les enfants mineurs, et nous allons rapidement quand même aborder les enfants majeurs, il ne faut pas les oublier ces enfants majeurs qui demeurent à charge. Le premier point qu’il faut savoir, c’est que l’enfant majeur ne peut plus être par moitié rattaché aux foyers fiscaux de ses parents.
L’option est la suivante, soit il est rattaché à l’un de ses parents, soit il fait une déclaration fiscale indépendante. C’est un choix qui doit être fait d’un commun accord avec le majeur. Dans le premier cas, lorsque l’enfant est rattaché à l’un de ses parents, il faut savoir que c’est possible jusqu’aux 21 ans du majeur sans conditions, jusqu’aux 25 ans du majeur sous réserve qu’il poursuive des études et dans cette hypothèse le parent qui ne bénéficie pas du rattachement va pouvoir déduire les dépenses qu’il engage pour l’enfant majeur, comme par exemple la pension alimentaire, les frais d’études, les frais de santé, mais attention cette déduction pour l’enfant majeur est plafonnée, ce plafond est revu annuellement, il est de 6 674€ actuellement. Et je précise bien entendu que cette somme déduis chez le parent débiteur est déclarée chez le parent créancier. En tout cas le parent qui bénéficie du rattachement fiscal.
Alors dans le second cas l’enfant fait une déclaration fiscale indépendante et dans cette hypothèse si les parents sont donc séparés/divorcés, et que chacun d’eux assume des frais pour l’enfant, chacun d’eux peut déduire les frais engagés sur justificatif. Comme dans le premier cas il faut vraiment pouvoir en justifier. Là aussi pour chacun des parents il y a un plafond fixé à 6 674€. J’ajoute deux petites précisions, ces sommes qui sont déduites par chacun des parents sont parallèlement déclarées par le majeur dans sa déclaration de revenus. Et j’ajoute aussi qu’un enfant majeur peut faire une déclaration fiscale indépendante et pour autant être hébergé par l’un de ses parents, et ce parent a également le droit de déduire au titre de ces frais de logement et de nourriture une somme forfaitaire annuelle de 3 968€, si l’hébergement n’est qu’une partie de l’année par exemple, à ce moment là ce forfait sera proratisé
Si je quitte le domicile familial et que j’indique ma nouvelle adresse notamment sur ma déclaration de revenus, vais-je être imposé à l’impôt sur la plus-value au moment de la vente du domicile familial ?
Benoît Métayer : Alors effectivement une question bien légitime et qui est souvent à l’origine d’une certaine appréhension pour le conjoint qui peut être amené à souhaiter quitter ou qui doit quitter le domicile conjugal. Pourquoi cette appréhension ? Tout simplement parce que le conjoint peut légitimement se poser la question s’il va être impacté à terme quant à l’impôt de plus-value sur la vente du bien immobilier. Alors soyons immédiatement rassurant quant à cet aspect. Il existe très clairement une tolérance de l’administration fiscale et ce depuis désormais 2013. Une tolérance toutefois, il importe de le rappeler, qui trouve un corollaire dans 3 conditions cumulatives, qui doivent être d’une part : le logement constitue bien la résidence principale du couple au moment de la séparation, d’autre part que le logement a été occupé par l’un des deux membres du couple jusqu’à sa mise en vente et enfin on considérera également que la vente est intervenue dans des délais normaux, ceci étant posé il n’y a pas de délai précisé aujourd’hui entre la date de séparation et la date de vente.
Pour finir, pouvez-vous nous faire un petit rappel du calendrier des déclarations ?
Joséphine Tillaye-Duverdier : La plupart des déclarations sont faites en ligne et depuis le 11 avril, tout comme les déclarations papier. Pour les déclarations en ligne il y a des dates butoirs en fonction des départements qui s’échelonnent entre le 23 mai et le 6 juin, pour les déclarations papier qui existent encore de manière exceptionnelle, la date butoir est fixée au 21 mai 2024. Toutes ces précisions peuvent être retrouvées sur le site impots.gouv.fr.
Joséphine Tillaye-Duverdier
Avocat Associée, Familynks
www.familynks.fr
Benoît Métayer
Consultant Senior et Responsable Partenariats Paris, Cyrus Conseil
benoit.metayer@cyrusconseil.fr