La France s’est dotée depuis 2003 d’un dispositif de faveur pour la transmission des entreprises « opérationnelles » : le Pacte Dutreil. Depuis bientôt 20 ans les lois de finances et les jurisprudences affinent et précisent les modalités d’application d’un dispositif devenu incontournable. Au fil des jurisprudences et des lois de finances, nous avons pu nous réjouir que la majorité des évolutions ait été dans le sens d’un assouplissement et d’une forme de simplification.
L’Administration fiscale a déposé un projet d’instruction qui a causé de nombreux remous. Certaines sections permettent de stabiliser enfin des définitions clés, comme celle de la holding animatrice. Mais les professionnels du droit se sont émus de l’interprétation proposée par l’administration alors que certains aspects ne suscitaient apparemment pas de débat.
Le Pacte Dutreil : rappels
En synthèse : le Pacte Dutreil permet de transmettre par donation ou succession les parts d’entreprises opérationnelles en bénéficiant d’un abattement de 75% sur l’assiette taxable, préalablement au calcul des droits, sous réserve d’un certain nombre de conditions :
- La société doit avoir une activité éligible (artisanale, agricole, libérale, commerciale ou industrielle) ou être une holding éligible,
- Au moins 34% des titres et des droits de vote doivent être concernés par un engagement collectif de conservation de 2 ans (il peut, dans certains cas, être réputé acquis),
- Lorsque la transmission par donation ou succession a lieu, le bénéficiaire des titres doit prendre un engagement individuel de conserver les titres pendant au moins 4 ans (à l’issue de l’engagement collectif le cas échéant),
- L’un des signataires de l’engagement collectif ou individuel doit exercer une fonction de direction dans la société pendant toute la durée de l’engagement collectif et pendant une durée de 3 ans à compter de la transmission à titre gratuit (il n’est pas nécessaire que la fonction de direction soit exercée en continu par la même personne).
Enfin une définition de la holding animatrice
Si on ne devait retenir qu’une chose de ce projet d’instruction ça serait la définition de la holding animatrice. En effet, le caractère « animateur » d’une holding est aujourd’hui très flou et on ne peut le définir que par construction en prenant des bribes de textes de lois et de décisions de jurisprudences. Cette instruction propose donc de tenir compte d’une série de décisions et donne une définition relativement claire des équilibres entre activités éligibles ou non et du rôle d’animation. Même si elle n’est pas parfaite, c’est une définition qui permet de sécuriser la majorité des dossiers de transmission où la holding a un réel rôle d’animation.
Une définition imparfaite vaut mieux qu’une absence de définition ! Rappelons-nous qu’en 2014, l’Administration avait proposé un projet de définition qui avait soulevé tant de commentaires et remarques… que le projet avait été simplement retiré. Et cela avait laissé un vide vertigineux : fallait-il respecter les règles de ce projet annulé, ou continuer à respecter l’esprit du texte et croiser les doigts pour que son interprétation soit la bonne ?
Mais quelques interprétations surprenantes
Quelques aspects de cette instruction ont concentré l’essentiel des remarques et des inquiétudes. Citons-en deux, et croisons les doigts pour que l’instruction définitive suive les recommandations des professionnels du droit …
Alors qu’il est désormais possible de prendre un engagement collectif unilatéral, le texte semble limiter cet assouplissement aux personnes physiques et l’exclure pour ceux qui détiendraient exclusivement leurs titres via une holding passive. Le Pacte Dutreil ne serait donc pas impossible, mais il serait nécessaire de s’assurer que l’ensemble des parties prenantes détiennent un titre en direct pour éviter une remise en cause, notamment en cas de décès en cours de pacte…
La mesure qui inquiète le plus est indéniablement celle qui prévoit que, si les titres soumis à un engagement « Dutreil » ont été transmis, la direction de la société doit être assurée par l’un des bénéficiaires de la transmission (héritier, légataire ou donataire). Dit autrement, si on transmet l’entreprise aux enfants, ils doivent exercer une fonction de direction au sein de l’entreprise alors qu’ils sont parfois jeunes (voire mineurs) ou qu’ils ne sont pas compétents pour de telles responsabilités.
Nous n’avons pas d’autre choix que d’attendre le texte final, attendu pour la rentrée, afin de décider des actions à mener et de mettre en musique les opérations de transmissions mises en pause par l’arrivée de ce texte.