Quelle réaction avoir face à l’instabilité politique ?

Quelle réaction avoir face à l’instabilité politique ?

Les résultats des élections européennes et la dissolution prononcée le soir-même ont plongé la scène politique française dans un brouillard épais. Et dans une situation où les programmes économiques passés ne donnent que peu d’indication sur les lois de finances à venir, l’épargnant s’interroge sur l’avenir de ses investissements et sur sa stratégie patrimoniale. Et sur la fiscalité qui sera applicable à la performance créée. Pour ceux tentés de réagir avant les élections : quelles sont les bonnes et les mauvaises idées ?

Sortir un dividende avant les élections législatives pour profiter du Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU)

Cela n’aura probablement aucun effet car si une nouvelle majorité décidait de la fin du PFU, la mesure pourrait s’appliquer sur toute l’année 2024. Nous avons déjà vécu des lois de finances rectificatives qui ont porté sur tous les revenus de l’année. On parlait de « petite rétroactivité » de l’impôt :

  • En 2011, l’instauration de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) qui s’appliquait au revenu de référence 2011, donc à tous les revenus perçus du 1/1 au 31/12/2011 et rajoutait à certains contribuables 3 à 4% de fiscalité ;
  • En 2012, François Hollande au début de son mandat voulait soumettre tous les revenus 2012 au barème, mais a dû consentir divers abattements suite à la révolte dite des « pigeons ». Ces entrepreneurs avaient parfois vendu en janvier 2012 en prévoyant un impôt à 19%: alors que le premier projet de loi de finances rectificatives les condamnait à 45% d’IR. La plupart des cédants a finalement payé un impôt à 24%, auquel il faut rajouter la CEHR (jusqu’à 4%) et les Prélèvements Sociaux (PS, passés de 12,3% à 15,5%). Une plus-value de 100 a donc subi un impôt de 34,3% ou de 43,5% selon qu’elle a été réalisée le 31/12/2011 ou le 01/01/2012.

Augmenter ses revenus dans les prochaines semaines pourrait aussi avoir des conséquences en matière de plafonnement, car en cas de retour à l’ISF, on s’intéressera aux revenus 2024…

Notre conviction

Il est tout à fait possible qu’une loi de finances rectificative votée en fin d’année impacte tous les revenus 2024. Il n’y a donc pas de mesure réellement efficace à prendre pour se protéger d’une hausse de l’impôt sur des revenus déjà perçus en 2024.

Apporter ses titres détenus en direct en report d’imposition

L’apport de titres à une holding soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) que l’on contrôle permet de figer la plus-value à laquelle on sera soumis, sous réserve de respecter certaines conditions. Cet apport déclenche le calcul de la fiscalité mais sans qu’il soit nécessaire de la payer immédiatement. Dans le contexte actuel, et en l’absence de cession des titres apportés par la holding, cette opération est-elle réellement utile ? Si une loi de finances rectificative venait modifier le régime fiscal applicable aux plus-values, il est à nouveau très probable que tous les apports de l’année 2024 seront soumis au régime choisi. Apporter avant ou après les élections n’aurait donc pas d’impact sur l’impôt mis en report qui ne serait en principe dû qu’en cas de cession ultérieure des titres de la holding.

Cela dit, si le régime d’apport était supprimé, il ne pourrait sans doute pas l’être pour les opérations déjà effectuées… Par ailleurs, le fait d’encapsuler une participation dans une holding et de profiter de l’IS dont le taux actuel est plafonné à 25%, est une opération qui assure une pérennité des règles applicables. Quelle que soit la majorité aux prochaines élections, il est plus aisé de modifier la fiscalité des personnes physiques que modifier les règles comptables et fiscales applicables aux entreprises, directement corrélées à la compétitivité du pays.

Notre conviction

Apporter une partie de ses titres à une holding soumise à l’IS est une bonne idée pour se doter d’un véhicule soumis aux règles comptables et fiscales des entreprises.

Placer des capitaux au Luxembourg

C’est toujours une bonne idée de diversifier ses investissements en répartissant par classe d’actifs, établissement financier, échéance de liquidité, risque, sous-jacents… et aussi par pays.

Et le Luxembourg a des atouts indéniables : à la fois au cœur de l’union européenne, mais avec posture assumée de place financière offshore. Il est très facile d’ouvrir un contrat d’assurance-vie ou un contrat de capitalisation de droit luxembourgeois depuis la France pour y loger des actifs. Pour l’investisseur, peu de différence avec un contrat français : aucune fiscalité n’est appliquée au Luxembourg (on parle de neutralité fiscale) et les rachats seront traités en France comme s’il s’agissait d’un contrat français. Les contrats luxembourgeois sont de surcroit des enveloppes très souples, souvent sur-mesure, dont l’univers d’investissement est quasi-illimité. Ils permettent désormais de loger toutes les classes d’actifs comme le non coté, l’immobilier, les produits structurés, … et il est possible d’investir dans d’autres devises que l’euro.

Mais est-ce réellement plus sécurisé ? Le Luxembourg fait la promotion de ces contrats en insistant sur des garanties renforcées, et notamment :

  • Le super-privilège qui devrait permettre au souscripteur d’être remboursé avant les autres créanciers en cas de faillite de la compagnie. Dans les faits, ce dispositif n’a été testé que lors de la faillite d’Excell life en 2012 et force est de constater qu’il n’a pas fonctionné : Escroquerie supposée du liquidateur, principe d’égalité des créanciers, … le législateur luxembourgeois semble avoir tiré des leçons de cet échec dans une loi qui renforce la protection des souscripteurs adoptée en 2018.
  • Le triangle de sécurité assure la séparation des avoirs des souscripteurs, des actifs des actionnaires et créanciers de la compagnie, avec l’utilisation pour les actifs des souscripteurs d’un dépositaire indépendant de la compagnie et validé par le régulateur local. Ces garanties supplémentaires et contrôles renforcés ont mécaniquement un coût plus élevé que les frais de gestion auxquels les souscripteurs français sont habitués avec les offres intégrées, c’est le prix de la sécurité.

    Enfin, les contrats luxembourgeois devraient être partiellement à l’abri de la loi Sapin 2 qui permet au Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) de bloquer les rachats des souscripteurs français pour 3 à 6 mois. Partiellement seulement, car pour un contrat de droit luxembourgeois investi en fonds euro, un blocage du HCSF bloquera le fonds euro de la compagnie, même pour les contrats luxembourgeois. En revanche pour un contrat 100% en Unités de comptes (UC), il ne devrait pas y avoir d’effet.

Notre conviction

Souscrire un contrat de droit luxembourgeois (capitalisation ou assurance-vie) est toujours une bonne idée. C’est un cadre de gestion souple, très facile d’accès et d’usage pour un résident de France. Et, indéniablement, loger des actifs sur des enveloppes luxembourgeoises apporte plus de sécurité juridique que sur les contrats français, sous réserve de souscrire des contrats en UC.

Réaliser des donations

Les donations permettent de « gommer » des plus-values latentes tout en transmettant une partie de son patrimoine en pleine propriété ou en nue-propriété à ses enfants. Ces transmissions bénéficient d’un abattement de 100 K€ par parent par enfant en ligne directe, le solde est taxé à l’aide d’un barème qui atteint 45% à sa tranche la plus élevée. Mais il est très pertinent de réaliser des donations sans attendre, notamment pour les raisons suivantes :

  • Le paiement des droits de donation se fait le jour de la transmission, par le notaire, au taux en vigueur : Il est donc « libératoire ». En cas de modification du barème, elle ne pourra pas s’appliquer rétroactivement et ne concernera que les nouvelles transmissions.
  • Les incertitudes politiques et économiques entraînent souvent des baisses de valeur vénale de certaines classes d’actifs, or c’est l’assiette utilisée pour la donation. La baisse des prix de l’immobilier et la fébrilité des marchés donne des opportunités de transmettre sur une valeur dégradée, donc avec des droits de donation moins élevés.

Le barème est progressif, donner une valeur de 550 K€ au-delà des abattements à ses enfants ne coûte « que » 20% et permet au bénéficiaire de remettre à jour le prix de revient. En une opération, on change de génération et on gomme la plus-value latente du donateur qui aurait été taxée un jour à un taux impossible à prévoir.

Notre conviction

Il est pertinent de procéder à des donations avant les élections. La probabilité de dispositions plus favorables que le cadre actuel est faible, aussi mauvais soit-il. Et même si la future majorité décidait de nouveaux abattements ou de tranches plus favorables, il sera toujours possible de profiter de ces dispositifs pour aller plus loin dans la transmission.

L'avenir du Pacte Dutreil

Le pacte Dutreil permet de transmettre son entreprise avec une décote de 75% soit pour une transmission portant sur 2M, une base taxable de 500 K€. Cette décote peut être amplifiée si l’on transmet en NP avec l’effet de levier du barème.

Par exemple, la base taxable sera de 300 K€ pour la même transmission démembrée par un couple âgé de 65 ans soit une pression fiscale de 1%. C’est donc plus que jamais le moment d’en mettre un en place assorti d’une donation si et seulement si votre société remplit toutes les conditions requises.

Si un ajustement doit être fait pour que le Dutreil fonctionne : rendre une holding animatrice par exemple, c’est trop tard pour le faire avant une très probable loi de finances rectificative dernier trimestre 2024.

Notre conviction

si vous devez mettre en place un Pacte Dutreil et que votre entreprise remplit par ailleurs toutes les conditions (société avec activité opérationnelle ou holding dont on sait à 100% qu’elle est animatrice, pourcentage de détention etc) : faites-le maintenant, au moins en nue-propriété. Vous conserverez les pouvoirs de gérance dans la société et vous aurez acté votre transmission à un coût très favorable.